Musilac – Dernier jour. C’est après une petite baignade matinale dans le lac du Bourget que nous rejoignons avec hâte le coin presse. 14h30, c’est trop tôt pour les premiers concerts mais idéal pour voyager à travers les paroles d’Orange Blossom. Notre guide ? Carlos Robles Arenas rapidement rejoint par la sublime chanteuse syrienne Maria Hassan. Orange Blossom c’est un mélange d’ethnies, de cultures et d’énergies qui crée un son à part. Un message de vivre-ensemble que le groupe propage à chacune de ses performances et qui fait cruellement du bien en ces temps où la division prime.
Aux origines d’un projet musical hors-norme
Le style d’Orange Blossom est très singulier. Est-ce que tu pourrais le présenter à quelqu’un qui ne connaît pas du tout le groupe ?
Orange Blossom, c’est un projet musical qui mêle plusieurs influences : la musique traditionnelle, notamment du Maghreb et d’Afrique, avec des éléments de musique classique et de musique électronique. C’est un vrai mélange de cultures, une rencontre entre différents univers.
Comment parvient-on à mélanger ces musiques traditionnelles avec de l’électro sans tomber dans l’excès, tout en gardant une vraie singularité ?
La musique électronique apporte une nouvelle texture, un nouveau souffle. Personnellement, je l’intègre à mon instrument, je l’adapte à mon univers. Ce n’est pas juste un habillage, c’est un vrai dialogue. J’essaie de créer des chansons, pas juste des morceaux électro. Il y a une intention musicale derrière chaque titre.
Pourquoi avoir choisi ces sonorités-là, du Maghreb ou d’Afrique, entre autres ?
C’est un peu comme tomber amoureux. Il n’y a pas toujours une explication logique. Ces musiques m’ont touchée profondément, elles m’inspirent. Elles me parlent, tout simplement. Je les trouve belles.
Le groupe existe depuis longtemps. Est-ce que vos influences ont évolué au fil du temps ?
Oui, bien sûr. Elles ont évolué avec notre maturité. Chaque membre a apporté ses envies, ses influences. On a pris des risques, on a exploré d’autres cultures : le Sénégal, le Mali, l’Égypte, Cuba, la Turquie… Tout cela nourrit notre musique, qui est devenue aussi une forme de voyage humain et culturel.
Y a-t-il un pays ou une sonorité qui t’a particulièrement marqué ?
C’est difficile à dire… Chaque culture a quelque chose de précieux, comme chaque être humain. Il y a des choses qui te touchent plus que d’autres, mais ce qui est beau avec la musique, c’est qu’elle est universelle. Pas besoin de parler la langue : chaque culture a sa richesse.
Chanter pour relier
Tu es accompagnée aujourd’hui de la chanteuse du groupe.
Oui, Maria est Syrienne. Je l’ai rencontrée à Nantes. On a fait un essai musical ensemble et ça a tout de suite fonctionné.
Maria, qu’est-ce que tu recherches dans ce mélange de sonorités que vous proposez avec Orange Blossom ?
Au départ, ce sont les chansons arabes du groupe qui m’ont attirée. C’était comme un premier “ticket” vers quelque chose de familier. Aujourd’hui, j’ai la chance d’apporter des chansons folkloriques syriennes, des poèmes aussi, que l’on intègre dans notre musique. Ce que je recherche, c’est de faire voyager ces textes, de les emmener ailleurs, de les partager avec d’autres.
Est-ce que tu as l’impression que les gens sont plus ouverts à la diversité musicale aujourd’hui ?
Oui, grâce aux réseaux sociaux notamment. On peut y voir le pire comme le meilleur, mais ils ont permis une vraie ouverture culturelle. Et aussi une prise de conscience politique. Par exemple, ce qui se passe à Gaza : aujourd’hui, beaucoup plus de gens en parlent, y compris des artistes sur scène. Et quand on en parle nous-mêmes, on sent le public réceptif, parfois même enthousiaste.
Tu remarques une différence selon les pays où vous jouez ?
Oui. En Suisse par exemple, on a été surpris. Le public était très engagé, certains ont manifesté à la fin du concert avec des pancartes “Free Palestine”. C’était fort, surtout dans un pays réputé neutre comme la Suisse. Mais il y avait sûrement des touristes aussi. C’est beau de voir que les gens se mobilisent.
Le micro comme arme douce
Aujourd’hui, on voit de plus en plus de pays ériger des barrières. Est-ce que ça a un impact concret sur votre musique, votre travail ?
Maria – Oui. Par exemple, je ne peux pas aller en Turquie à cause de ma nationalité syrienne. Pareil pour le Liban. C’est frustrant, surtout quand on fait de la musique en arabe. On pourrait avoir un grand public dans les pays arabes, mais les restrictions politiques nous en empêchent. Peut-être que dans quelques années, ça changera.
Carlos – À Gaza, au Congo, en Afghanistan… Ce sont toujours les gens qui paient le prix des décisions politiques. Mais ce qui me donne de l’espoir, c’est de voir les peuples se réveiller, se rassembler. Il y a une prise de conscience face au retour du fascisme, du patriarcat, de l’oppression. Et c’est pour ça qu’on est là : pour créer ensemble, pour proposer autre chose.
Est-ce que vous pensez qu’un artiste doit forcément être engagé aujourd’hui ?
Je pense que oui. Ne pas s’engager, c’est déjà faire un choix. Et c’est un choix lâche. On ne peut pas rester insensible face aux injustices sociales, humaines, écologiques… On est obligés d’être ensemble. Il y a une révolution en cours : elle est sociale, humaine, féministe… Il faut utiliser notre voix, notre visibilité. Même si ça dérange.
Et toi Maria, tu partages cette vision ?
Oui, je pense que c’est un devoir pour un artiste. Quand tu es sur scène, tu as l’opportunité de parler à beaucoup de gens en même temps. C’est important de diffuser de bons messages, de parler de ce qui compte. On essaie de le faire, même si parfois ça passe inaperçu. Mais la majorité du temps, les gens réagissent positivement. C’est ce qui compte.
La folie comme refuge de l’humanité
Revenons à la musique. Quels sont vos futurs projets, vos envies pour la suite ?
On veut continuer à dire aux gens : soyez libres, unissez-vous, battez-vous pour vos rêves. La richesse de la France, ce sont ses cultures multiples. On veut créer ensemble, se libérer.
On ira là où la vie nous emmène. Peut-être moins loin qu’avant, à cause du climat. Mais c’est pas grave : on trouvera de nouvelles manières de faire.
Justement, l’intelligence artificielle et les enjeux environnementaux : est-ce que ça influence votre musique ?
L’IA, c’est un outil. Ce n’est pas elle le vrai danger, ce sont ceux qui la contrôlent.
Par exemple, certains dirigeants de plateformes utilisent l’IA pour produire de la musique sans artistes, garder les droits, exploiter encore plus. Il faut poser des limites, encadrer légalement tout ça.
Et toi Maria, tu en penses quoi ?
Le monde va très vite. L’IA évolue vite aussi. Mais je crois qu’il y aura toujours besoin de choses authentiques, humaines. L’IA ne peut pas ressentir les émotions, la profondeur. Elle peut imiter, mais pas créer avec la même intensité.
L’IA ne peut pas comprendre la folie créative. Les artistes que j’adore comme Quentin Dupieux entre autres, ce qu’ils font est imprévisible. Et c’est ça qui rend l’art vivant.
Alors soyons fous. Peut-être pas plus intelligents que l’IA… mais plus fous. Et ça, c’est beau.
J’adore. Super phrase de fin. Merci beaucoup à tous les deux.
Avec “Spells From the Drunken Sirens“, Orange Blossom continue d’envoûter, de troubler et de rassembler. Ce dernier album est une traversée des frontières géographiques, intimes et politiques et nous rappelle qu’il n’y a pas plus précieux que l’humanité.