Avec “Later is Here“, son premier album studio, l’autrice-compositrice-interprète Danielle Schroeder livre un disque poignant, fragile et d’une intensité émotionnelle rare. Chaque chanson est un pas dans un parcours intime, un fil tendu entre le passé et le présent, entre l’histoire personnelle et la mémoire collective.

De « Remember » à « Snow » : une boucle de mémoire

L’album s’ouvre sur « Remember », une ballade douce et méditative qui plante le décor d’un disque centré sur le souvenir et la transmission. Danielle y convoque une figure centrale de sa vie : sa grand-mère maternelle, survivante de la Shoah, source inépuisable de force et d’espoir.

Ce n’est pas un hasard si l’album se referme sur « Snow », une relecture envoûtante de « Remember », comme un écho lointain, enneigé, plus dépouillé encore, qui ferme la boucle. Dans ces deux morceaux, l’artiste interroge les liens entre la mémoire, la transmission, et les blessures du présent.

« C’est en lui demandant : “How low will we go…before our names are buried in the snow?” que je cherche désespérément des réponses, pour nous aider à sortir de ces cycles dévastateurs de traumatismes et de violence. »

Ce questionnement profond surgit dans un contexte douloureux. Schroeder, de confession juive, confie son désarroi face aux violences contemporaines, notamment le génocide en cours à Gaza, et son refus de rester dans le silence. À travers ce chant, elle cherche un point d’ancrage :

« Souviens-toi. Souviens-toi que nous ne sommes pas séparés les uns des autres. »

Track-by-track : un voyage introspectif en neuf étapes

Enregistré au Monarch Studios avec le producteur Aaron Klassen, et accompagné de Jeremiah Schneider et Paolo Pietropaolo, l’album bénéficie d’une production délicate, respectueuse de l’intimité des chansons. Chaque instrument, chaque silence, semble pesé avec soin. Un écrin idéal pour cette voix douce, habitée, qui ne cherche pas à impressionner mais à toucher.

L’album s’ouvre avec « Remember », un murmure d’ouverture porté par un piano feutré et une voix frêle, mais profondément sincère. Dès les premières notes, Danielle Schroeder installe un espace de recueillement. Cette chanson agit comme une prière laïque, un pont intime tendu entre les générations, dans une tentative de relier le passé au présent.

Vient ensuite « The Ache of Living », sans doute le morceau le plus bouleversant du disque. Inspiré par un deuil personnel, il explore la douleur d’exister avec une honnêteté brute, désarmante. Ici, le minimalisme instrumental devient un écrin de silence pour la voix, qui semble parfois vaciller, amplifiant encore la puissance émotionnelle de l’instant.

Avec « Know Myself », la chanteuse s’engage dans une quête d’identité plus profonde. Elle y affronte ses doutes, ses incertitudes, comme un reflet flou dans le miroir du temps. L’arrangement, fluide et aérien, baigne la chanson dans une atmosphère introspective, presque flottante.

« I’m Ready » marque une respiration. C’est un morceau d’acceptation, de lâcher-prise. Le refrain, lumineux, agit comme une libération. Porté par des chœurs discrets et des guitares soyeuses, il invite à s’ouvrir au monde avec douceur.

Avec « Redwing Blackbird », l’album prend une tournure plus métaphorique. L’oiseau noir aux ailes rouges devient un symbole de migration et d’espoir, une figure d’envol. Schroeder en fait un compagnon de route, une allégorie de la liberté à reconquérir, comme si la nature pouvait encore nous apprendre à guérir.

« Undertow » plonge dans une tension plus souterraine. Le morceau évoque ces forces invisibles, intérieures, qui nous attirent vers le fond. Mais loin d’en faire un chant de naufrage, Schroeder y glisse une forme de courage discret : celui de résister aux courants intérieurs, de rester à flot malgré tout.

Avec « Meandering Time », elle signe une balade contemplative, où le temps semble se dissoudre lentement. Les souvenirs s’y mélangent, les repères s’effacent. C’est sans doute le titre le plus atmosphérique du disque, un rêve éveillé qui suit le fil d’une rivière mentale, sinueuse et paisible.

Le pic émotionnel de l’album est atteint avec « When All Is Torn ». Ici, tout éclate : les mots deviennent cris, la musique se déploie en une montée dramatique. C’est un morceau sur l’effondrement, mais aussi sur la possibilité de reconstruction, une forme de renaissance sans masque, à nu.

Enfin, « Snow » referme l’album en miroir de son ouverture. Remix fragile de « Remember », le morceau semble avoir vieilli, avoir traversé le disque comme nous. Plus dépouillée encore, cette dernière piste agit comme un écho lointain, une conclusion suspendue. Le silence qui la suit est peut-être aussi important que les notes elles-mêmes : il invite à la réflexion, au recueillement.

Une œuvre engagée et intime à la fois

Later is Here n’est pas un simple album. C’est un plaidoyer pour la vulnérabilité, un cri contre la violence faite aux êtres et aux peuples. En liant l’intime au politique, l’héritage au présent, Danielle Schroeder nous tend un miroir où chacun peut voir son propre reflet : brisé, mais toujours debout.

Danielle nous invite à une posture radicale dans un monde durci : garder le cœur ouvert. Peu importe la douleur, l’absurdité, la complexité des événements. Rester humain·e, rester sensible. Et surtout, ne pas oublier.